Retour à l'accueil

Capture d'écran de Téléchat (Roland Topor et Henri Xhonneux, 1983-1986)

Hotline Miami 2: Wrong Number est :
Le mauvais numéro

Fallait-il vraiment faire une suite à Hotline Miami ? Avions-nous tant besoin de connaître le passé de “Blouson”, la réalité derrière la “coalition russo-américaine”, les conséquences qui vont changer le monde à jamais des événements de Hotline Miami, un jeu qui, pour rappel, consiste à tuer des mafieux, et à se demander si tout ça ne se déroule que dans la tête du personnage ? Un jeu qui a l’audace (dans le monde du jeu vidéo, “audace” est le terme technique pour dire “immaturité”) de finir par un caméo de ses développeurs, qui expliquent que “tout ceci n’est qu’un jeu” et se moquent de vous pour oser “réclamer des réponses” ? Bien entendu, aucune de ces questions n’a d’importance, la seule qui compte étant sans doute “comment les mecs de Dennaton vont-ils payer leur loyer”, et à leur décharge, faire la suite d’un jeu vidéo populaire est généralement un excellent moyen d’y arriver.

Mais qu’on ne vienne pas nous faire croire que c’est également d’un excellent moyen de faire un bon jeu vidéo. Le postulat de Hotline Miami 2: Wrong Number, comme celui de trop de “suites” de jeu vidéo, est intenable : c’est un jeu qui se veut différent de son prédécesseur, mais qui doit rester pareil, parce que c’est la suite de Hotline Miami. Après tout, leur premier jeu a été le fer de lance d’un petit phénomène culturel, un revival fluo-fétichiste des années 80 par des gens qui, pour la plupart d’entre eux, ne les ont jamais vécues (Jonatan “Cactus” Söderström, la moitié de Dennaton, est né en 1992) et qui semble se porter encore bien aujourd’hui, avec le succès des Kavinsky, Com Truise et autre Lazerhawk qui ne sont pas dans la bande-son de Hotline Miami 2. N’empêche que quand on essaie de faire un jeu différent d’un autre tout en étant fondamentalement identique, on s’expose à un problème auquel peu de développeurs parviennent à trouver une solution, un problème que n’a hélas pas su résoudre Dennaton.

Principalement parce que le premier Hotline Miami était bien trop cohérent. Son gameplay brutal (vider chaque niveau de ses occupants, sans laisser de survivants) trouvait une excuse valable dans sa trame tirée par les cheveux (vous devez obéir aux coups de téléphone ! vous faites partie d’une organisation terroriste ! vous êtes mentalement instable ! vous êtes dans un jeu vidéo !), ce qui en faisait un vrai jeu d’exploitation, avec tout ce que cela implique de post-modernisme pour brosser les gamers prétentieux dans le sens du poil. Peut-être ces gamers prétentieux sont devenus un problème quand ils ont découvert la “vraie fin” d’Hotline Miami, qui se risque à casser sa mise en abyme avec des histoires de “coalition russo-américaine” et d’association nationaliste extrémiste américaine (les créateurs du jeu sont suédois). Alors, Hotline Miami 2 se met en tête de tout nous expliquer. A grands renforts de dialogues, de flashbacks, d’arcs parallèles, de protagonistes multiples, de narration non-linéaire, d’hallucinations… ce qui est déjà un peu beaucoup pour un jeu en 2D vu de haut où les visages pixelisés des personnages flottent dans le vide avec des yeux exorbités, mais qui devient carrément indigeste quand on considère que le coeur du jeu consiste toujours à tuer/tabasser tous les êtres vivants de chaque niveau, même lorsque vous devez vous évader d’une prison ou que vous êtes entourés de racailles dans une station de métro. Quelle est la différence entre un mafieux, un journaliste, un flic, un acteur, un ancien militaire et une bande de jeunes, si tout ce qu’ils font (en dehors des cinématiques, où ils se contentent généralement de parler) se résume à exterminer tous les occupants des lieux qu’ils visitent ? Certes, on peut se forcer à s’attacher aux personnages, et comme tout bon nerd 2.0, consulter un wiki pour comprendre exactement ce qui se passe. Mais il est évident que les techniques narratives limitées de Hotline Miami 1, à base de transitions psychédéliques et de bonshommes déshumanisés, fonctionnent beaucoup moins dès qu’il s‘agit de raconter quelque chose de plus compliqué que “tu aimes tuer des gens, pas vrai ?”. À plus forte raison lorsque le reste du jeu, c’est-à-dire les niveaux de Hotline Miami 2 proprement dits, reprend lui aussi les mécaniques d’HM1 au point d’en être quasiment un map-pack sans grande nouveauté.

“Map-pack”, le terme est abscons (et en anglais) mais approprié : on appelait comme ça les fichiers que les gens s’échangeaient sur Internet il y a dix ou vingt ans pour ajouter de nouveaux niveaux à leurs jeux. Parfois développés par des amateurs, parfois par des devs différents de ceux du jeu de base, ces extensions se permettaient généralement de casser les règles tacites qui dictaient la construction des niveaux originels, pour expérimenter - et repousser - les limites du gameplay. Doom 2, la suite très ressemblante à Doom, en est un bon exemple, et notez que Doom 2, lui au moins, n’essayait pas de se prendre pour Pulp Fiction. Hotline Miami 2, comme l’ont avoué ses créateurs, devait à l’origine être un map-pack pour HM1, et ça se voit : tandis que les déplacements et les tirs sont pratiquement inchangés (allez, notons que le fusil à pompe se recharge plus lentement), les niveaux trahissent ce côté expérimental, cette approche fourre-tout du level design propre aux map-packs d’antan. Et comme les map-packs d’antan, ça passe ou ça casse ; dans HM2, ça casse plus souvent que ça ne passe, la faute à l’emploi régulier de très grands espaces de jeu, violant une règle tacite d’HM1 et entraînant de ce fait des conséquences immédiates : maintenant, vous pouvez régulièrement vous faire descendre par un ennemi situé hors de votre écran. Les tactiques pour venir à bout de ces niveaux plus vastes, mais aussi plus peuplés (ce qui signifie plus d’ennemis à tuer (ce qui signifie qu’en cas d’échec près de la fin, vous devez recommencer plus loin avant (ce qui signifie que c’est beaucoup plus dur))), peuvent être crispantes pour les habitués du rythme improvisé de HM1 : il va falloir avancer à tâtons, l’auriculaire scotché sur la touche [Alt] pour scruter les environs, quitte à attirer les ennemis (qui se comportent toujours comme des lemmings) vers soi pour les flinguer en file indienne. Au bout du compte, les stages les plus réussis de Hotline Miami 2 sont ceux avec Carpenter Brut sont ceux qui ressemblent le plus à Hotline Miami 1, tandis que ceux qui tentent le plus de s’y éloigner (en particulier les stages à Hawaii qui lorgnent du côté des jeux de tir classiques comme Commando) démontrent malheureusement que les expériences ne débouchent pas toujours sur des succès.

Hotline Miami 2: Wrong Number n’est donc pas un mauvais jeu, parce qu’il a pour base son fort efficace prédécesseur, mais ne sera jamais qu’un remix dilaté et bancal de Hotline Miami 1. Si l’objectif de Dennaton était de raconter une histoire noire, ambitieuse et postmoderne, ou de faire un shoot’em up plus traditionnel, à l’économie davantage portée sur le long terme, alors Dennaton aurait dû faire un jeu réellement différent de Hotline Miami, et renoncer à la facilité de reprendre son premier succès et d’y ajouter un 2. La logique maléfique de la Suite De Jeu Vidéo se prête particulièrement mal à un jeu à l’identité aussi forte que Hotline Miami ; en voulant réitérer leur exploit, les développeurs se sont mis dans une situation casse-gueule, dont ils parviennent à peine à sortir en ayant, de leur propre aveu, “balancé tout ce que nous avons” dans HM2, pour s’épargner la corvée d’en faire un 3e. Sage décision de leur part ; peut-être est-ce aussi de leur part que cet épisode 2, en une ultime vanne méta, est sous-titré “Mauvais numéro”.


LP
, le

Commentaires

Envoyer un commentaire